L'innocence, leur unique péché
- Aurélie
- 14 mars
- 6 min de lecture
Dernière mise à jour : il y a 6 jours
Ceci est une œuvre adaptée de faits réels que j'ai voulu la plus crue et la plus réaliste possibles. Avertissement : Peut contenir du contenu à caractère explicite ou violent. Bonne lecture !
« Il venait de faire part à mes parents du jugement définitif de m'envoyer en maison de réhabilitation.
Maman s'était effondrée en larmes. Papa essayait de la consoler du mieux qu'il pouvait, tentant lui-même de comprendre la situation et d'accepter le verdict. Qu'est-ce qui n'avait pas marché ? Qu'est-ce qu'ils avaient manqué de voir ou de faire ?
J'écoutais avec assez d'impassibilité. Je jouais avec mes doigts, presqu'ailleurs. Je me demandais si mon frère allait bien dans son berceau. J'aimerais bien jouer encore avec lui avant de partir mais ça faisait un moment qu'on m'y avait interdit l'accès. Maman disait que j'avais mal agi envers lui. Je me demandais ce que ça voulait dire. Le psychiatre leur avait dit que j'étais "instable". Du haut de mes 4 années, ce mot semblait comme du sable dans le vent. Pour m'expliquer, il disait que je faisais du mal à mon frère et qu'on devrait m'éloigner de lui. Je ne me rappelle pas avoir pleuré. Je continuais à jouer avec mes doigts.
Un jour, maman nous avait laissés jouer dans le jardin, mon frère et moi. ça m'amusait de courir et de le voir faire les quatre pattes à mes trousses. Quelques instants après, elle est arrivée vers moi en courant. Elle m'a arraché le morceau de bois je tenais. Je venais de frapper plusieurs fois mon frère avec. Etrangement, je n'avais réalisé qu'à cet instant que tout le voisinage entendait ses pleurs. Il était couvert d'hématomes aux niveaux du bras et de l'abdomen. Je n'oublierai jamais la peur que je lisais dans ses yeux quand elle m'a regardée.
Un autre jour, nous étions dans la cuisine à trois. Ma mère était sortie un instant. Quand elle est revenue, elle a crié. J'avais entaillé le bras de mon frère. Il saignait, je tenais encore le couteau en main et j'ai souri à maman, lui disant innocemment que je jouais avec lui et que je pensais qu'il avait mal. Depuis ce jour, ma mère m'interdisait de me rendre dans la cuisine. Elle avait fermé le tiroir des couteaux à clé, espérant que je n'en touche plus.
Mais j'avais caché un dans ma chambre et je me taillais souvent avec. Je ne saurais pas vous expliquer. J'aimais bien la sensation de sang chaud dégoulinant sur ma peau. Le couteau qui pénétrait ma chair me rappelait certaines images dont je ne parlais jamais. Maman avait déplacé le trousseau de mon frère chez elle et a contacté un psychiatre qui m'a posé plein de questions. Il a dit que mes dessins étaient très parlants. Il me demandait d'expliquer le sang que j'avais dessiné et le trait qui rentrait dans ma peau. Je me rappelle que je lui ai dit que c'était papa qui avait fait ça ; pas mon papa mais mon premier papa. Il demandait depuis quand ça avait commencé, je ne m'en rappelais plus exactement. A ce moment-là, je vivais seule avec lui car maman était morte en couche.
La première fois, je devais avoir 1 an. Il m'a appelée dans sa chambre. Il m'a demandé : "Tu sais que papa t'aime beaucoup ?". J'ai hoché de la tête. "Les enfants de ton âge ont un petit monstre entre les jambes. Si papa ne le tue pas, il va te manger toute crue !" J'ai eu peur et j'ai commencé à pleurer. Il a dit de me calmer et de lui faire un câlin. Après, il a enlevé mes habits et a commencé à me "toucher" — je ne connaissais pas ce mot à l'époque. A un moment, j'ai ressenti une douleur foudroyante entre les jambes. Je voulais crier mais il m'étouffais la bouche en me disant de ne rien dire à personne. "Papa t'aime fort". Je pleurais, personne n'entendais mes cris étouffés. Il mettait la musique à fond pour les locataires d'à côté ne soupçonnent rien.
J'avais peur. Je me demandais si c'était normal ? Ma réflexion n'était pas encore très développée. J'avais mal et je voulais juste que ça s'arrête. ça avait continué ainsi tous les soirs. Je n'en avais jamais parlé à personne. Il ne m'inscrivait pas à l'école non plus, de peur que je ne dévoile son secret. Il me gardait enfermée dans l'appartement. Je pouvais passer deux jours sans nourriture, en son absence. Mais cela me semblait toujours mieux que quand il revenait. La torture reprenait. C'était pire quand il se sniffait. Il invitait même un ami pour "l'assister". Il disait toujours que je ne devais appartenir qu'à lui, que je suis sa "petite" femme et que le jour où je raconterais quoi que ce soit, j'allais mourir. Aujourd'hui, je sais qu'il profitait juste de ma crédulité.
J'ai commencé à perdre pied avec la réalité. La douleur quand j'allais aux toilettes, l'incompréhension, le sang sur mes habits, la peur constante, avaient suscité un effroi tellement grand que je ne réfléchissais plus. J'obtempérais sans broncher. Quand il finissait, je sortais de la chambre et je dessinais. Au fond, comment demander à un enfant de juger la seule réalité qu'il connaît ? Comment demander à un Être si innocent et si frêle de discerner les rouages de la cruauté humaine ? Enfant, je pensais qu'en lui désobéissant, il se fâcherait et que si un monstre apparaissait, il n'y aurait plus personne pour me défendre. Je ne voulais pas qu'il m'abandonne. Et puis, s'il disait que c'était normal, c'est que ça devait bien l'être, non ? Je devais accepter que la vie soit aussi douloureuse. Aussi, un enfant ne peut dénoncer ce qu'il ne comprend pas ou ne sait pas encore. Il subit juste, parfois jusqu'à en mourir.
ça a duré deux ans au bout desquelles, mon petit frère était né de son union avec une autre femme qui nous rendait parfois visite à la maison. Par la suite, il a été arrêté pour trafic de drogue et nous avons été placés en refuge. Quand on m'a sorti de l'appartement, mon impassibilité ne laissait pas transparaître ma peur. J'étais comme anesthésiée, prête à passer d'un ancien maître à un nouveau. Dans mes souvenirs, j'avais un retard de langage que je comblais en dessinant beaucoup. Je dessinais ce qui se passait dans ma tête. Les encadreuses du refuge ne semblaient pas très surprises par mes croquis ensanglantés. J'ai finalement eu une famille d'accueil chez qui je suis restée avec mon frère jusqu'à lors.
Le psychiatre m'a demandé de refaire ces mêmes dessins. Il a expliqué à maman que je dessinais ce que je voyais, qu'eux ne pouvaient pas voir. Il leur a expliqué ce que je lui avais raconté. Il disait que ces évènements ont créé en moi un trouble dissociatif de la personnalité ou quelque chose comme ça. Quand je faisais du mal à mon frère, je n'en étais pas consciente. Il y avait une partie émotionnelle dans mon cerveau qui était éteinte.
Aujourd'hui, ça fait 15 ans que je suis sortie de la maison de réhabilitation psychosociale. Trois mois après mon entrée, le psychiatre m'avait demandé si je comprenais maintenant l'ampleur de ce que j'avais fait à mon frère. Pour la première fois depuis des années, j'ai pleuré. J'ai dit qu'ici tout le monde était gentil et que je comprenais maintenant ce que ça voulait dire que de faire du mal aux gens. Que je m'en voulais parce que j'aimais mon frère au fond. 7 mois plus tard, papa et maman m'ont accueillie à la sortie avec mon petite frère.
Les années suivantes, j'ai repris peu à peu goût à la vie. C'était bizarre que je pouvais vivre sans avoir peur autour de moi. Les gestes des autres ne provoquaient plus de tremblements en moi. On pourrait penser que ça n'arrive qu'aux femmes mais les hommes sont simplement plus réservés sur la question. Et c'est bien souvent après de nombreux dérives et scandales sexuels qu'on finit par l'apprendre. Combien de mes camarades ne m'ont pas parlé de cette tante ou de cette fille de ménage qui les avaient "initiés" à la sexualité dès 8 ans, 5 ans, 4 ans, etc. ? Disant que c'était nécessaire pour qu'ils deviennent des hommes ? Aujourd'hui, ils vivent avec ce trauma en silence, addicts à la pornographie à laquelle on les a exposés trop tôt. Le pire pour eux, c'est que la société n'est pas prête à s'offusquer devant leurs malheurs. Ce sont des hommes, n'est-ce pas ? Ils devraient s'estimer heureux d'avoir eu de quoi satisfaire leur appétit sexuel assez tôt.
Aujourd'hui encore, je me demande ce qui peut pousser un parent à briser l'innocence et la pureté de son enfant. Plus encore, pour toutes ces victimes encore dehors, je crains pour demain.
Je me demande si notre société est vraiment préparée à aider tous ces enfants ?
Une chose est sure, si ce n'est pas la société qui les aide, ce sera la société qui aura besoin d'aide. »
--------------------------------------------------------------------------------------------------------------------------

La société a-t-elle vraiment besoin d'aide...?
Article intéressant 🔥