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Haunted .

Dernière mise à jour : il y a 1 jour


« "Et puis tu sais, l'autre jour, il a carrément dit ça ! J'étais cho-quée..."


Je ne saisis plus la fin de la phrase, l'esprit ailleurs. Je les regarde en dodelinant de la tête, acquiesçant à des avis dont je n'ai aucune idée. Je les entends parler d'une voix forte et enjouée, me demandant d'où elles peuvent bien tirer cette énergie. Elles sourient, rient aux éclats, répètent les mimiques de leurs personnages du moment. A quelques regards évasifs à mon endroit, je joins un sourire rapide, espérant que la nuit s'écoule vite.


Sur le chemin du retour, les enseignes lumineuses se succèdent comme de fins traits incandescents dans la nuit profonde qui m'accueillait. J'ai un rituel assez particulier, un peu indépendant de ma volonté. Dans la salle d'eau, je cherche la dernière boîte de cachets qu'on m'a prescrite. Mes doigts tremblent légèrement alors que je les fais glisser sur le plastique froid.





Au fond, je les enviais d'être si insouciantes de la vie. Je n'arrivais plus à la percevoir de cette manière. Dans leurs regards, il n'y avait aucune frayeur du lendemain, aucune crainte d'un passé qui refasse surface. On aurait dit que la vie leur était acquise. Leurs nuits ne risquaient pas d'être entrecoupées de réveils intempestifs aux sueurs froides et persistantes, bravant même la climatisation la plus basse. Leur vie n'était peut-être pas parfaite mais elle en avait bien l'air.


J’ouvre la boîte, faisant rouler un cachet entre mon pouce et mon index. Deux ans plus tôt, il m'arrivait d'en prendre souvent deux, trois, voire toute la plaquette. Pourquoi ? J'en avais besoin.


Une gorgée d’eau, un cachet, un instant de répit. C’est le rituel. C’est ce qui me maintient.


Je relève les yeux vers le miroir en face. Mon drap se reflète dans le miroir — je crois y voir du sang. Et l’odeur frappe. Ce n'est qu'une odeur mais à elle seule, elle éveille tous mes sens. Je la reconnaîtrais entre mille. Etouffante, persistante, insidieuse.


Une odeur de cigarette froide. Stagnante. Collante. Celle qui s’imprègne aux murs, aux draps et suscite mes pires réminiscences. Celle qui, même après des années, ne disparaît jamais vraiment. Mes poumons se crispent.


Non, ce n’est pas possible. J’habite seule.


Il ne peut pas être là.


Mon regard descend vers le lavabo. Juste en dessous du robinet, une traînée de cendres. Noire. Fraîche.


Non.


Je recule brusquement, mon dos heurte le mur carrelé. Mon cœur cogne. Mon souffle s’effiloche.


Je suis seule. J’ai verrouillé la porte en rentrant. Je le sais. Je l’ai fait. Comme chaque soir.

Alors pourquoi… Pourquoi je sens sa présence ? Pourquoi cette odeur persistante, lourde, épaisse, comme si elle venait tout juste d’être exhalée à quelques centimètres de mon cou ?


Je ferme les yeux. Juste une seconde. Et quand je les rouvre, j'aperçois une silhouette floue. Il s'approche. Je transpire et mes muscles se crispent car je crains le pire. Une ombre dans le reflet du miroir. Puis une silhouette. Puis un homme. Il est bien là.


Je ferme instinctivement les yeux. Je ne veux pas le voir. Et pourtant, ses doigts sont déjà autour de ma gorge. J'étouffe, je n'arrive plus à réfléchir, mon corps refuse de bouger comme à chaque fois. Il est tétanisé et je pleure, impuissante. Crier ? Qui m'entendrait ? Et s'il me tue ensuite ? Je le sens, son souffle rance, son ricanement rauque qui s’enfonce dans mes tympans.


Je me revois dans cette chambre ; en dépit des années, je ne l'ai pas quittée. Je suis encore là, allongée sur ce matelas miteux, la joue écrasée contre le drap rêche, les larmes coulant sans un bruit. Je suis encore là. J’étais pourtant sortie, non ? Je suis partie. J’ai grandi. J’ai mis de la distance. Alors pourquoi ? Pourquoi il est encore là ?


Mon souffle s’emballe et tout s'enchaîne. Tout va trop vite. Je sens le sang couler entre mes jambes. Je fixe le plafond jauni de la vieille chambre pour ne pas le voir. A travers la brume épaisse de cigarette, la porte entrouverte montre une silhouette féminine au téléphone, en train d'organiser "la suite" de l'après-midi. Satisfaite, elle finit par m'observer sans bouger. Maman. Maman qui regarde et ne dit rien.


Maman qui referme la porte. Maman qui m’a vendue.


Une nausée violente me soulève l’estomac. L’air me manque. Mon cœur menace d’exploser.

Je vais mourir. Non. Pas encore.


Tout devient noir et je sens le sol dur derrière ma tête.


Je me réveille dans un sursaut de survie. Mes doigts agrippent le bord du lavabo et je me penche en avant, inspirant brutalement. Mes poumons crient sous l’assaut d’un oxygène qui me semble coupant comme du verre. Il est parti. Du moins, il n’a jamais été là.


On croit généralement qu'il faut une cause logique, tangible pour provoquer en nous la peur. Nous croyons à tort qu'il faut que l'objet de notre peur soit présent, en pleine action, pour craindre le pire. Mais au contraire, il suffit d'un détail, d'un son, d'une odeur pour perdre pied.


Vous savez ce qu'il y a de plus dur avec un traumatisme ? Vous ressentez la douleur dans votre chair comme au premier jour. Chaque geste, chaque regard vous revient avec des soubresauts d'un corps qui tente encore instinctivement d'y échapper. Vous revoyez votre agresseur venir à vous, comme pour en finir une bonne fois pour toutes. La peur remonte dans votre ventre, le sentiment d'impuissance renaît et vous vous débattez contre un ennemi qui ne meurt jamais mais qui devient simplement invisible.


On dit que la santé n'a pas de prix. Moi, c'est pour la paix du cœur que j'aurais tué. Ce même schéma se répète presque tous les soirs. Ces fantômes m'avaient laissé deux ans de répit, deux ans de bravoure face à la vie que j'ai célébrées avec faste, comme ces petites victoires dont on doit être fiers. Quel contraste. Aujourd'hui, il a suffi d'une cigarette pour faire valser ma tête. Je tremble, j'essaie de me calmer.


Je suis seule.

Je suis seule.


Mais la chambre existe toujours.

L’odeur de cigarette aussi.


Pourtant, je ne fume même pas. Était-ce dans ma tête ?





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1 Comment

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kayseyflo
il y a 3 jours
Rated 5 out of 5 stars.

Belle et profonde plume... les âmes vous en remercient.

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